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Un grand chirurgien nancéien : Pierre   CHALNOT (1903-1982)

Jean-Pierre VOIRY

Le Professeur Pierre CHALNOT fut un des plus grands Chirurgiens français du XXème siècle et domina la Chirurgie nancéienne par sa stature morale et intellectuelle. Il forma la quasi-totalité des chirurgiens de Lorraine, voire même au-delà, pendant plus de quarante ans, de 1930 à 1974.

Il a marqué par sa forte personnalité, sa clairvoyance et son esprit novateur plusieurs générations de disciples. Son souvenir est resté très vivace dans le milieu médical mais ses derniers élèves sont actuellement quasi-octogénaires et il m’est apparu souhaitable d’apporter un témoignage direct sur ce Maître remarquable.

Pierre CHALNOT était franc-comtois, né à Morteau en 1903. Il fit ses humanités et ses premières années de médecine à Besançon, qui était alors une Ecole et non une Faculté de Médecine. Très tôt passionné par la Chirurgie, il vint passer l’Internat de Nancy et fut reçu en 1925, à 22 ans.

Chef de clinique en 1930 dans le service du Professeur HAMANT, autre grande figure de la Chirurgie nancéienne, il fut nommé agrégé dès 1933, puis, en 1937, à  titre provisoire, à la tête de la Clinique chirurgicale A qu’il devait diriger jusqu’à sa retraite en 1974.

 

       

Professeur de Clinique  Chirurgicale et Chef de Service à titre  définitif, Pierre CHALNOT, dont l’activité chirurgicale était jusqu’alors surtout digestive et gynécologique, commença à développer dès 1946 la chirurgie thoracique et oesophagienne, dont il fut un des pionniers en France. La maîtrise de la chirurgie thoracique, avec les progrès de la réanimation et de la transfusion, lui permit d’aborder la Chirurgie  Cardiaque à cœur fermé vers 1950, puis à cœur ouvert sous circulation extra-corporelle à la fin des années 50.

Il s’entoura progressivement de collaborateurs et  d’agrégés talentueux, dont nous reparlerons à la fin de cet article, pour embrasser tous les domaines de la chirurgie.

La clinique chirurgicale  A devint alors le service où les Internes pouvaient acquérir, outre un bagage solide en chirurgie générale,  une orientation sérieuse vers l’une ou l’autre de ces spécialités en voie d’individualisation. Les postes d’internes y étaient donc très disputés, d’autant plus que les Chefs de Clinique étaient d’excellents « seniors » pour leur apprendre  les techniques de base de la chirurgie générale.

Le Professeur CHALNOT avait une apparence assez banale, de taille moyenne, portait des lunettes rondes. Il était habillé sobrement à la ville, et au service il portait une blouse ample et un tablier blancs. Jamais de calot, même en salle d’opérations où il revêtait un grand masque remontant très haut sur le front.

Il menait une vie simple, sortait peu, parfois pour un concert, car il aimait la musique, s’asseyant chaque jour à son piano. Il siégeait assez régulièrement dans les jurys des Concours du Conservatoire, en tant que personnalité compétente.

Son seul luxe était représenté par ses voitures, généralement de grosses américaines un peu démodées, qu’il conduisait très lentement, notamment quand il était appelé en consultation à l’extérieur de Nancy, parfois jusqu’au Luxembourg où un Chirurgien devait posséder une voiture « statutaire ».

Son allure apparemment débonnaire l’avait fait surnommer familièrement, mais sans méchanceté, « le Pépère »  ce qui donnait lieu parfois à des méprises cocasses. Un jour, une petite élève infirmière, naïve mais très dévouée, le voyant pensif devant le tableau opératoire, le prit pour un malade et lui demanda gentiment : «  vous êtes perdu, Pépère ? Je vais vous reconduire à votre chambre  …. ».

Il avait subi avec son épouse, les coups répétés du sort dans sa vie personnelle : son fils aîné était trisomique et son deuxième fils, Jean-Pierre disparut tragiquement à 23 ans dans un accident de voiture en 1967. Il avait accepté ces épreuves avec beaucoup de dignité, et se réfugiait dans le travail, la chaleur de ses amitiés et la musique, mais ne manquait jamais de manifester une sympathie personnelle à ses élèves quand ils étaient eux-mêmes dans la peine.

Sa générosité l’avait amené à se porter garant de sa sœur, propriétaire d’une fromagerie en Franche- Comté, qui fit de mauvaises affaires. Il fut entraîné dans la faillite de l’entreprise et se trouva pratiquement ruiné. Cette même générosité s’adressait aussi à ses collaborateurs. L’un d’eux, père de plusieurs enfants, s’était trouvé temporairement sans poste. Il l’aida discrètement et le rétribua sur ses propres deniers comme … majordome.

Dans son service, son autorité naturelle était incontestée, et sa bienveillance n’excluait pas la fermeté, voire même une certaine rudesse, dès qu’il s’agissait d’éduquer ses jeunes élèves et de leur inculquer les bons principes éthiques et techniques de la Chirurgie. Chef de service à temps partiel, il était cependant à l’Hôpital matin et soir. Tous ses efforts concouraient à deux buts :

- soigner les patients le mieux possible

-et enseigner à tous ses élèves, de l’étudiant au Chef de clinique, la meilleure façon de le faire.

Il y avait deux institutions dans le Service, la grande visite du mercredi  et le « staff » du lundi soir.

A la visite, il paraissait bien renseigné sur certains patients, comme par hasard ceux dont nous étions peu fiers, et posait à leur propos des questions embarrassantes mais très pertinentes. Personne n’était à l’abri, et les internes et assistants avaient intérêt à bien connaître le dossier et le tenir parfaitement à jour, d’où l’expression de notaires utilisée parfois par le Patron !

La réunion de Service du lundi soir était l’autre grand’messe de la semaine,  et c’était souvent une belle leçon d’humanisme et d’humilité, quand les jeunes chirurgiens proposaient une intervention lourde et complexe, d’entendre le Patron poser cette simple question : « Est-ce que vous rendrez service au malade ? ».

Parfois, à l’inverse, il les poussait à entreprendre telle intervention difficile et  incertaine, parce que c’était la seule chance de survie du patient.

Sa grande expérience, son immense culture médicale et sa clairvoyance assez exceptionnelle faisaient que ces attitudes apparemment contradictoires étaient bien souvent justifiées.

Le Pr Jean Lochard, son plus ancien élève, a parfaitement résumé ses traits de caractère :

- d’abord une vocation : la chirurgie très tôt et jusqu’à sa dernière heure : quand il mourut il allait à l’Hôpital.

- l’obstination : il ne lâchait jamais prise, qu’il s’agisse d’une opération longue, apparemment désespérée, d’une conviction, d’une idée à défendre tant qu’il l’estimait juste, d’un ami ou d’un élève à soutenir, d’une complication grave à surveiller, il allait jusqu’au bout , il ne lâchait jamais prise.

- la clairvoyance : un flair et un esprit critique étonnants pour discerner l’essentiel de l’accessoire, le solide du factice.

- la droiture inflexible : Il n’a jamais transigé, jamais admis que ceux qui l’entouraient transigent avec les lois de l’honnêteté, de la fidélité, de la conscience professionnelle.

Son œuvre scientifique fut immense, dans tous les domaines de la Chirurgie, mais particulièrement en chirurgie digestive, thoracique et cardio-vasculaire. Il est impossible de la détailler ici,  mais son service fut la source de très nombreuses publications originales, avec souvent des premiers cas français de succès chirurgical.

Pierre Chalnot était membre de plusieurs Sociétés savantes nationales  et fut Président de la Société française de Chirurgie thoracique et membre correspondant de l’Académie de Chirurgie. L’Association Française de Chirurgie lui proposa en 1968 la Présidence du Congrès offre qu’il déclina  après le choc terrible de la mort de son fils en 1967.

Il eut le grand mérite de pousser ses élèves vers les différentes spécialités  chirurgicales qui commençaient alors à se diversifier au sein  de son service. Ceux-ci devinrent à leur tour patrons de services autonomes : Jean Lochard en chirurgie thoracique, Jean Grosdidier en chirurgie digestive,  Jacques Michon en chirurgie de la main, Philippe Vichard en orthopédie à Besançon, Robert Frisch et Gérard Fiévé en chirurgie vasculaire, Pierre Mathieu en chirurgie cardiaque.

A sa retraite en 1974, le service ne conserva que la chirurgie cardiaque qui fut développée à Brabois par le Professeur Mathieu à partir de 1977, en particulier pour la Chirurgie coronarienne.

 Le Professeur Chalnot conserva une activité privée à la Clinique Bon Secours et à la Clinique Lepois jusqu’à sa mort subite, en avril 1982, à 79 ans

Il reste dans la mémoire de ses élèves, des plus brillants aux plus modestes, l’exemple d’un grand Patron  qui fut un remarquable novateur en chirurgie dans  la deuxième moitié du XXème siècle, sans négliger l’importance primordiale de la chirurgie générale .Tous les chirurgiens formés  dans son école, quelle que soit leur spécialité finale, étaient capables de maîtriser une situation d’urgence, sans pour cela s’engager dans une entreprise au-delà de leurs capacités personnelles  ou de celles de leur environnement technique.

 L’éthique humaniste du Professeur Chalnot était essentiellement soucieuse de l’utilité et du bénéfice pour le malade de l’acte chirurgical.

Ainsi, il aimait rappeler que son plus grand plaisir était d’annoncer à un patient anxieux que l’intervention conseillée par son médecin n’était pas nécessaire, renvoyant chez lui un homme soulagé et heureux. 

On apprenait certes à bien opérer chez le Professeur Chalnot, mais aussi à savoir ne pas opérer.