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LES MOULAGES DERMATOLOGIQUES DU MUSEE

 

Jacques VADOT

 

En Lorraine, comme ailleurs, l’enseignement de la Dermatologie n’a pas échappé à l’évolution des techniques. L’arrivée des “diapositives” a bouleversé les méthodes de communication, bientôt supplantées par l’image numérisée ou tridimensionnelle.

Au siècle dernier, il fallait recourir au dessin, à l’aquarelle ou à la photo, et de façon plus expressive à la sculpture ou aux moulages en plâtre ou en cire.

L’apport de la céroplastie, dont les premières réalisations remontent au XIIe siècle en Italie, pour la confection d’ex-votos, permet la réalisation de pièces médico-anatomiques à partir du XVIIe siècle en Europe. Les moulages en cire sont ensuite utilisés par certains pour enrichir les “Cabinets de curiosités”. Mais c’est surtout vers la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe que les “cires” prennent une valeur d’enseignement. A partir du milieu du XIXe siècle, de nombreuses cliniques chirurgicales ou médicales, dermatologiques en particulier, utilisent ces techniques pour constituer des collections destinées à la formation médicale.

Nancy n’échappe pas à cette forme d’enseignement, et nous avons pu réunir et faire rénover une collection de 127 moulages dermatologiques, un peu délaissés depuis plusieurs décennies. Les renseignements concernant les origines et la constitution de cette collection sont difficiles à cerner de façon précise. Il est cependant très vraisemblable que ces pièces ont été progressivement rassemblées par les responsables successifs de l’enseignement dermatologique dans notre région, dont on sait qu’il existait à la fin du siècle dernier.

Apparaît d’abord le nom d’Alphonse Herrgott, qui, dans l’attente d’une chaire d’Obstétrique, dirigea la Dermatologie à partir de 1880. Il est bientôt aidé par Paul Spillmann, qui avant son implantation définitive à Nancy, où il passa son internat, fit des stages auprès d’Alfred Fournier, à l’Hôpital de Lourcine. Secondant A. Herrgott dans la direction du Service de Dermatologie jusqu’en 1887, P. Spillmann est alors nommé à la Clinique Médicale B. On retrouve ensuite Schmitt, Vautrin puis Février, tous chirurgiens dont l’implication se faisait plus volontiers dans le cadre des maladies uro-génitales. Peu après la Grande Guerre, la Clinique Dermatologique sera dirigée par Louis Spillmann, son premier vrai “Titulaire”, qui restera en fonction de 1919 à 1940. Puis ce sont le Professeur Jean Watrin, titulaire de 1941 à 1955 (+), et le Professeur Jean Beurey de 1955 à 1991.

Cette chronologie permet de supposer que la majeure partie de la collection a été constituée entre 1880 et 1940, et l’examen récent des pièces, après leur rénovation, a révélé les noms de ceux qui les ont confectionnées, ce qui conforte cette idée.

Il y a quelques décennies encore, cette collection était exposée dans une salle réservée, le “Musée” de la Clinique Dermatologique de l’Hôpital Fournier, jouxtant l’amphithéâtre du service, facilitant ainsi l’utilisation des pièces pour l’enseignement clinique. Le remodelage des locaux obligea à regrouper les «cires» dans un nouvel emplacement, au sein d’une vitrine un peu exiguë, où leur présence suscitait plus de curiosité que d’intérêt.

Grâce à la compréhension des plus récents chefs de service, le Professeur Jean Beurey et ses élèves et successeurs Max Weber et Jean-Luc Schmutz, ces “moulages dermatologiques” ont pu gagner un nouvel espace d’exposition, au sein du Musée de la Faculté de Médecine de Nancy.

Une restauration a pu être effectuée avec l’appui de tous les dermatologistes lorrains, à travers un don substantiel fait par l’Association Post-Universitaire de Dermatologie (A.L.P.U.D.) et à la compétence de Didier Besnainou, diplômé de l’lnstitut Français de Restauration d’œuvres d’Art (I.F.R.O.A.), dont nous avons pu apprécier le savoir-faire et le caractère raisonnable des interventions. Cette remise en état a permis de retrouver et répertorier des pathologies encore d’actualité, ou d’autres moins courantes, mais non exceptionnelles.

Sur les 127 pièces que nous possédons, beaucoup sont consacrées à la syphilis (40), grand fléau des siècles passés, dont la maîtrise relative n’est encore que récente. La vénéréologie est aussi représentée par le chancre mou ou l’herpès, encore très actuels. La pathologie infectieuse est illustrée par des moulages de tuberculoses cutanées ou des infections plus courantes (érysipèle, impétigo,…), ou encore endémiques comme la lèpre. Les mycoses, trichophytiques surtout, les sporotrichoses, les acnés, les eczémas, les pityriasis, le psoriasis ou le lichen font encore partie de nos pathologies quotidiennes. Nous retrouvons aussi des “érythèmes” noueux et polymorphes, des maladies bulleuses, “Duhring” ou pemphigus, des maladies de Paget et d’autres affections comme le mycosis fongoïde, la pelade ou les xanthomes.

Grâce à cette restauration, nous avons pu identifier les noms des personnages qui sont intervenus dans la confection de la plupart des pièces dermatologiques, dont la plus importante collection est au Musée de l’Hôpital Saint-Louis.

Ainsi retrouvons-nous sur de nombreux moulages la signature de Jules Baretta (82 pièces), dont l’histoire ou la légende disent que, fabricant attentif et minutieux de “fruits en carton-pâte”, Passage Jouffroy à Paris, il fut remarqué, en 1863, par Charles Lailler, alors chef de service, qui l’invita à venir travailler à Saint-Louis. Baretta mit au point des techniques de moulages incluant une coloration dans la masse du plus grand réalisme. Il fut un temps conservateur du musée, mais malheureusement il gardera ses secrets jusque dans la mort, n’en faisant bénéficier aucun de ses successeurs.

Nous découvrons aussi le nom de Louis Niclet (14 pièces), longtemps chargé du laboratoire de photographie de l’Hôpital Saint-Louis, puis successeur de Baretta, lors de son départ en retraite. Enfin apparaît le nom de Charles Jumelin qui paraît avoir travaillé auprès du Docteur Paul Horteloup, chirurgien-urologue à l’Hôpital du Midi, actuel Hôpital Cochin. Charles Jumelin avait aussi confectionné des moulages pour Alfred Fournier lors de ses fonctions à l’Hôpital de Lourcine. Puis gagnant l’Hôpital Saint-Louis, A. Fournier emporta avec lui ses collections.

Plusieurs de nos pièces (18) portent la mention “Hôpital du Midi, Dr Horteloup, recopié par Ch. Jumelin” ou “Musée de l’Hôpital Saint-Louis, recopié par Ch. Jumelin”. Quelques-unes ne sont pas signées (13).

Ainsi le Musée de la Faculté de Médecine de Nancy peut-il s’enorgueillir de posséder maintenant une intéressante collection de cires dermatologiques, certes modeste par rapport aux plus de 4000 pièces du Musée Saint-Louis. Remis en état, ces moulages constituent un témoignage historique et inestimable d’un temps révolu, mais cependant riche d’intérêt pour les générations actuelles et futures.