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LA “PHARMACOPEE DES PAUVRES” DE NICOLAS JADELOT (NANCY, 1784)

 

Pierre LABRUDE et Nicolas DIDELOT

 

En Lorraine comme dans d’autres provinces, le XVIIIe siècle est marqué par de rapides évolutions dans de nombreux domaines : les arts, la philosophie, le droit, la médecine,…

La pharmacie évolue aussi, et de nombreux auteurs, qu’ils soient médecins ou apothicaires, universitaires ou praticiens, publient des ouvrages traitant des drogues et des remèdes. C’est ainsi qu’à Nancy, Nicolas Jadelot, professeur à la Faculté de médecine, publie sa “Pharmacopée des pauvres” en 1784.

Il s’agit d’un petit in octavo de 212 pages, ayant pour titre complet : “Pharmacopée des pauvres ou formules des médicamens les plus usuels dans le traitement des maladies du peuple”.

A la suite, on trouve comme précision : “avec l’indication des vertus de ces médicamens, de la manière de les employer et des maladies auxquelles ils conviennent”. L’auteur précise ensuite le but de son ouvrage : il est “destiné à servir aux hôpitaux, maisons de charité et à toutes personnes qui veulent soulager les pauvres”. Enfin, arrive la désignation de son auteur et l’énoncé de ses titres et qualités : “Par M. Jadelot, Professeur de la Faculté de médecine de l’université de Nancy, médecin de l’hôpital Saint Charles, membre de l’Académie et du Collège de médecine de la même ville, Associé regnicole de la Société royale de médecine de Paris”. Au bas de cette page-titre, figurent les mentions : “A Nancy, chez H. Haener, Imprimeur ordinaire du Roi, rue St. Dizier, n° 337”, puis la date, MDCCLXXXIV.

La “Pharmacopée des pauvres…” est organisée comme suit : après la page de titre se trouve un discours de deux pages intitulé “But de l’auteur” dans lequel Jadelot explicite les origines et les raisons de son travail, mais cherche aussi à situer son ouvrage dans l’arsenal

thérapeutique de son époque. Ne souhaitant pas particulièrement apporter des nouveautés, il veut d’abord faciliter et clarifier l’approche médicale des plus pauvres de ses contemporains. Aussi, avertit-il son lecteur qu’il ne désire pas donner de leçons aux autres, mais bien au contraire, qu’il espère ouvrir le débat et servir à l’enrichissement de l’expérience de chacun. Dans ce passage, Jadelot ne manque pas de souligner les efforts des médecins nancéiens de cette époque qui ont organisé un système de soins destiné spécifiquement aux plus pauvres. C’est la consultation des pauvres organisée par le Collège royal de médecine.

A la suite de cette partie, succède le coeur de l’ouvrage intitulé : “Formules des médicamens les plus usuels”. Cette liste comprend la succession des différents remèdes proposés par l’auteur, classés en fonction de leurs formes galéniques. Par son choix, Jadelot fait oeuvre de normalisation dans la rédaction de ses formules. Ainsi se succèdent dans un ordre immuable :

- la forme galénique faisant office de titre de chapitre, par exemple «tisanes», suivie de l’utilisation courante qui doit être faite de cette forme,

- le nom de la formule en italiques,

- le modus operandi, imbriquant les différents ingrédients au fur et à mesure de leur mise en oeuvre,

- l’indication du remède et ses modes d’administration, ce dernier point n’étant pas constamment précisé.

Ainsi se succèdent 342 formules dont le modèle peut être la formule suivante : Tisane commune. “Prenez quatre onces de racine de chiendent mondée, écrasée et coupée. Faites cuire dans douze livres d’eau commune, à la réduction de dix; à la fin jetez-y une once de réglisse ratissée et concassée; retirez la liqueur du feu tout de suite et laissez infuser pendant une demi-heure ensuite versez la à clair, ou la passez par un linge. On la donne en boisson ordinaire, par verrées, depuis une pinte jusqu’à deux par jour.”

Sur ce modèle, l’auteur énumère les formules de nombreuses formes galéniques qui illustrent l’étendue des remèdes de l’époque. On trouve ainsi : tisanes, infusions aqueuses, décoctions et apozèmes, vins et vinaigres médicinaux, infusions spiritueuses, boissons

vomitives et purgatives, potions, émulsions, loochs, poudres, électuaires, opiates, bols, pilules, lavements, gargarismes, collyres et autres remèdes externes tels que fomentations, emplâtres et de nombreux cataplasmes.

A la suite de ce formulaire qui se termine page 128, l’auteur ajoute une note explicative dans laquelle il précise les raisons qui l’ont poussé à poursuivre son ouvrage différemment de son projet initial. En effet, un incendie l’a interrompu, ce qui a été l’occasion de le perfectionner et de le compléter en fonction des remarques et des travaux de ses contemporains. S’agissant de la facture générale de l’ouvrage, on peut s’interroger sur l’existence ou l’absence des parties qui suivent cette note ; en effet, rien ne prouve que l’auteur ait eu, au début de son travail, la volonté de joindre l’ensemble des pièces qu’on peut trouver à la suite de la liste des médicaments d’origine. Jadelot passe ensuite à une autre partie intitulée “Observations”, où il revient sur les formules qu’il a précédemment énumérées en y retranchant ou en y modifiant différentes drogues, ou en apportant des commentaires sur le mode opératoire. Pour plus de clarté, il veille à indiquer la situation de ces modifications dans la succession des formules, ce qui permet au lecteur de se situer plus facilement dans le propos. Ainsi, pas moins de 48 formules se trouvent soit modifiées, soit ajoutées à la première liste.

Une table relative à la forme et à la composition a été mentionnée ensuite. On peut d’emblée s’interroger sur l’absence éventuelle de cette partie dans la version qui aurait précédé l’incendie ayant détruit la première version du manuscrit. En effet, il est rare de trouver des tables aussi abouties lorsqu’on compare celle-ci à celles qui existent dans des ouvrages contemporains tels que la “Pharmacopée de Nancy” (due à Mandel en 1796) ou encore la “Pharmacopée de Genève” datée de 1780. Dans un souci de lisibilité, Jadelot a choisi d’organiser cette table, non pas selon l’ordre alphabétique, mais en suivant l’ordre des formules qu’il a précédemment exposées. Elle comporte 14 pages dans lesquelles sont détaillés les titres de l’ensemble des médicaments de sa pharmacopée.

Une seconde table intitulée “Table explicative de l’action des médicaments internes et des indications qu’ils peuvent remplir” a été adjointe ensuite. Cette partie est précédée d’un paragraphe dans lequel Jadelot reprend la définition de différents termes de médecine usités à l’époque, tels que : “Indications simples et indications composées”, puis il en vient aux différentes façons de classer les médicaments selon les écoles médicales.

On remarque là aussi une façon différente de procéder par rapport aux contemporains puisque Jadelot utilise ici un ton très pédagogique au risque de paraître peut-être moins magistral que la plupart des maîtres de son temps.

Il est en effet avant tout un universitaire dont les proches collaborateurs disent qu’il est un excellent pédagogue. Il ne paraît donc pas insolite de trouver une organisation de ce type pour cet ouvrage.

Après ce paragraphe d’introduction se déroule donc en 42 pages une liste explicative des différentes indications des remèdes depuis les adoucissants jusqu’aux vulnéraires. Cette fois, l’auteur a décidé de suivre l’ordre alphabétique et, à chaque indication, il redonne la définition du terme employé, les nuances qui s’y appliquent, les conditions d’usage et surtout il indique les pages auxquelles peuvent être trouvés les médicaments se rapportant à ces indications. Là aussi, le caractère explicatif est mis en avant, permettant au lecteur de s’y retrouver rapidement. Enfin, suite à cette table, l’ouvrage se termine comme le veut l’usage de l’époque par la mention “approbation et privilège”, signée à Nancy, le 26 mars 1785 par De Sivry, secrétaire perpétuel de l’Académie royale des sciences, arts et belles-lettres de Nancy.

L’étude de cet ouvrage nous permet d’obtenir différentes informations, aussi bien pour situer celui-ci dans les écrits de son temps que pour mieux comprendre la personnalité et

les finalités de son auteur. En effet, la “Pharmacopée des pauvres…”, lorsqu’elle est comparée à certaines de ses contemporaines restées célèbres, comporte un grand nombre de drogues déjà connues à l’époque. Par contre, ce qui la distingue est sa présentation et l’organisation instituées par l’auteur, en particulier grâce à un découpage didactique et à des tables ; on arrive à discerner ainsi la personnalité de Nicolas Jadelot, universitaire prestigieux avide d’apporter des connaissances à ses étudiants et à ses lecteurs.

Au delà de l’intérêt propre de l’ouvrage pour les professionnels de son temps, il est remarquable par sa longévité. En effet, plusieurs de ses formules constitueront des références médicales pour le siècle qui suivra et, il y a peu de temps, certains prescripteurs, en particulier en dermatologie, faisaient encore usage de formules héritées de cet ouvrage et d’autres de cette même époque, ce qui illustre, s’il en était besoin, l’intérêt thérapeutique des pharmacopées du XVIIIe siècle.

La “Pharmacopée des pauvres…” demeure le testament médical le plus général et sans doute le plus prestigieux du professeur Nicolas Jadelot.